Il y a peu, j’ai surveillé un examen d’économie. Le paysage m’est familier, la matière moins – 170 étudiants alignés dans une grande salle aux tables elles aussi alignées – si familier qu’on ne s’en étonne plus. Je ne m’en étonne pas. J’y participe. Pas au point de célébrer les vertus de l’examen – de la démocratie, du vote utile, des progrès techniques, les moyens ne manquent pas pour défendre l’utile et laisser de côté l’agréable.

 

L’épreuve a commencé. Je me suis mis à battre mon périmètre restreint. Deux autres collègues s’étaient construit le leur… Ça ne m’a pas d’abord frappé. Puis, peu à peu – et là…

 

J’ai eu comme un moment halluciné – très bref. Tous ces gens alignés ! Que faisaient-ils alignés dans cette salle un samedi matin ? Qu’est-ce que j’étais venu y faire ? Quel message chacun de nous donnait à l’autre, chacun dans sa fonction et à sa place ?

 

C’est la première chose qui m’ait frappé. Je vous dis quoi par mes allées-venues dans les travées ? Et vous, vous me dites quoi, assis à votre table, tête penchée, jambes agitées, carte d’étudiant ou bien d’identité sur le côté ? On se dit quoi en vérité ?

 

Je vous dirais ceci, si je devais dire quelque chose : que je suis là pour m’assurer que votre diplôme est bien gardé et votre peine méritée ; qu’il ne vous sera pas donné sans gage (de quoi reste à savoir) ; que le diplôme auquel vous prétendez vous définit et vous sera utile le restant de vos jours (le compte a commencé) ; que ce diplôme vous marque et vous dispense d’être autre chose qu’une estampille (sans exclure pour autant, si le temps le permet, que vous soyez aussi curieux et cultivés, heureux et libres, fantasques ou rationnels, et parfaitement au clair sur la comédie que nous jouons en ce moment vous et moi).

 

Car je ne crois pas qu’un diplôme ait jamais fait la preuve de quoi que ce soit, moins encore d’un savoir durable ou d’un comportement civil – en un mot : d’une culture. Voyez les langues, ce qu’il en reste au sortir de l’école ; ou la géographie ; et l’histoire ; la physique ou les sciences naturelles (les mathématiques ?) : je ne vous dis rien de la philo et rien de la littérature (pour l’économie, résultats dans un mois). Que reste-t-il de nos scolarités dans nos conversations quotidiennes, à part l’humanité d’un prof, ses tics et ses bons mots – sa posture ? Presque rien. Peu de chose. Un savoir inutile assorti d’un diplôme.

 

Et vous, assis, assises en rangs serrés, que me dites-vous ? – On n’a pas le choix. Le rapport de force est inégal. On veut un métier. (Il est possible que je vous entende mal. Je serais malvenu à signaler votre docilité quand je me plie au même cérémonial.)

 

De part et d’autre, assis, debout, nous arrangeons la vérité : nous faisons comme si la chose enseignée était la chose apprise et retenue, alors qu’elle est d’abord le gage de notre docilité. La vôtre et la mienne sont le prix d’un diplôme.

 

Les examens mesurent des connaissances qui ne comptent pas.

 

Carl Rogers en fit la démonstration, en avril 1952, devant un auditoire d’éminents professeurs de Harvard, qui l’avaient invité. En quelques minutes d’une intervention qui se voulait un témoignage, il avait soulevé la salle d’indignation.

 

 

Examen étroitement surveillé