LES MOTS ont comme une vie indépendante.

Qui aurait cru, il y a un an, que le vieil hygiaphone des Postes, Télégraphes et Téléphones de mon enfance, à cette époque prudente où une barrière de verre limitait les intrusions intempestives de microbes et de hold-up, redeviendrait à nouveau nécessaire ?

Car même la plaque de verre de notre écran portable ne nous garantit plus une parfaite immunité contre les charges virales. Si nous voulons retrouver un semblant de contact avec nos semblables, le téléphone portable ne nous est plus d’aucune utilité. Certes, il nous faudra encore appuyer sur la touche # ou 2 de votre portable pour connaître les dernières découvertes de notre conseiller bancaire, mais le coude à coude délicatement ambigu qui nous réunissait depuis quelques années nous est désormais interdit.

La saine paroi de verre ou de plexiglas fait son retour dans nos échanges civilisés (je me suis pour ma part offert, en commande expresse, un petit hygiaphone de fabrication française des plus élégants, portable et parfaitement trempé contre les vibrions de toute nature, et plus étanche qu’un téléphone).

Complétant l’hygiaphone, le bon vieux passe-montage de laine ou le masque de tissu sont eux aussi redevenus plus précieux que le dernier écran impayable de votre marque préférée. Allez donc vous moucher avec un smartphone ! Essayez un peu de vous le plier sur le nez ! Pour le dire sans détour, j’attends avec impatience la fabrication en série de la prochaine cabine à taille humaine, en plexiglas multiusage, adaptable, nettoyable et transportable partout.

En plexiglas ou en Macrolon® d’ailleurs. On s’y glissera comme dans une combinaison gagnante.

Plus sûre qu’un smartphone, une cabine bien à soi pour aller par les rues, comme des bohémiens heureux, enfin transparents à nous-mêmes et aux autres, solidaires, unis, en bloc. Notre cabine sera tout à la fois notre maison, notre vêtement et notre peau, contre laquelle un jour, qui sait, une âme frère ou sœur viendra délicatement se frotter, comme autrefois notre conseiller bancaire. (Une vielle cabine de douche ou une cage de hamster bricolée feront aussi l’affaire.)

C’est une évidence. L’hygiaphone intégral est la seule protection anti-virale désormais garantie pour affronter les pandémies anxieuses de l’avenir, surtout si nous envisageons de maintenir entre nous une présence physique afin de jouir à distance respectable d’un agréable simulacre de société.

Naturellement, si la tendance devait virer au confinement et au télétravail généralisé, avec promenade horaire une fois par jour, le smartphone obsolète pourrait redevenir l’hygiaphone approprié que nos grand-mères ont méconnu dans les années 2000. Dans l’immédiat, le défi est lancé : Hygiaphone 3D contre Smartphone 5G, qui remportera la bataille prophylactique ?

J’ai confiance. L’avenir est déjà là. Tout redeviendra comme avant. Au risque de tourner en rond.

Et si vous ne les avez jamais vues, offrez-vous, avant le confinement final du cercueil, les dernières scènes d’Une Brève histoire d’amour, de Krzysztof Kieslowski (1997), version cinématographique du 6e épisode du Décalogue, dont voici les scènes finales (en .gif), avec l’extraordinaire Grażyna Szapołowska. Elles se situent dans un bureau de poste.

Hygiaphone