JE SUIS FRAPPÉ du décalage que je perçois entre l’expérience des autres et la mienne.
Chez moi, l’épidémie donnée pour centrale y tient le second plan, voire le troisième, disparaît même du paysage. Je suis d’abord frappé par les discours publics dans lesquels je ne perçois pas les divergences qui habituellement signalent les différentes manières de percevoir la réalité.
Par exemple, je vois un homme masqué, président de la république, qui réussit en un seul jour à faire cesser le travail d’un pays tout entier là où un mouvement populaire de plusieurs mois et des syndicats de toujours ont mis des mois à échouer.
Je vois des gens, deux ou trois dans ma rue, applaudir à 20 heures en me demandant s’ils ne s’applaudissent pas eux-mêmes d’une fenêtre à l’autre. (Je suis tenté de sortir dans la rue pour donner un sens à leurs applaudissements.)
Je vois dans ce désir de solidarité un puzzle d’existences de plus en plus étrangères aux nuances partagées. Puzzle aux pièces sans bords communs.
Je vois l’éloignement quasi inexorable de l’expérience sensible, remplacée par un flux continu d’affichages numériques qui en même temps dévoilent et recouvrent mon expérience du monde.
Je vois dans nos écrans tactiles la disparition du sensible, remplacé par des représentations fragmentées et démultipliées de sensations plus ou moins sensationnelles.
Je vois les limites d’un paradoxe qui fait du proche et du prochain une forme sans épaisseur, inaccessible – essentiellement lointaine. Inexistante.
Nos réalités mériteraient de se parler.