CHOISISSEZ une grande chorégraphe. De Wuppertal précisément. Sollicitez des lycéens et lycéennes qui n’ont jamais dansé. Vous obtenez Les rêves dansants de Pina Bausch.

Ce film sur le travail de la plus grande chorégraphe du siècle 20 est moins une leçon – est-ce d’ailleurs une leçon ? – qu’une manière de vivre le travail de la création et la création au travail. Il n’y pas d’apprentissage sans création, sans ajustement à soi par l’engagement de toute la personne, de toutes les personnes présentes dans ce débordement des normes que le travail de création impose, très loin de l’idéologie du dépassement que les adeptes de la performance vendent en guise d’idéal de soi et du monde.

Bande annonce | Rêves dansants (2008)

Se dépasser c’est se manquer ! C’est l’erreur du sportif, qui ne sera jamais un artiste – ou si peu.

Le travail sans la création, c’est l’École ! La pesante école des ânonnements anonymes à horaires fixes, à horreurs continues. Car même « en guerre », même confinés, nous sera vendue et imposée la « continuité pédagogique » sans possibilité d’aucune rupture. Même « en guerre », même cernés par la peste et le choléra, il nous sera donné sur cette terre de conduire les enfants à la docilité du vide et du co-vide partagé. 19, 20, 21… la série sera longue si nous n’y mettons pas un terme maintenant.

Docilité : capacité à recevoir un enseignement. Et à le donner. C’est l’étymologie de ce mot sans ambiguïté qui explique les combats acharnés menés en son nom pour assouplir les corps et les esprits jusqu’à l’asservissement. Ne surtout rien changer !

Tu seras sportif de la performance et docile de l’éducation. Ça n’est pas pour rien que les politiques aiment la pédagogie.

Les rêves dansants exècrent la performance. D’une exécration tranquille d’ailleurs, pleine de douceur, tournée vers la confiance. Pina Bausch est présente parce qu’elle se prête sans se donner, toute à l’abstraction qu’elle porte et cherche à incarner sur scène. Nulle condition physique n’est requise, aucun conditionnement par régime ou entraînement prétexte n’est nécessaire. Seul importe l’engagement de tout ce que l’être porte de vivant et d’histoire personnelle (les beaux moments d’entretien entre les répétitions, véritable danse intérieure). Les danseurs dansent leur vie tout en la découvrant. C’est cela apprendre.

PINA BAUSCH

La confiance n’y est pas dictée par décret. Elle est le moment d’une rencontre inattendue. Le spectacle sera ce qu’il pourra être. Rien n’est donné ni prévu d’avance. Chorégraphes et apprentis construisent la réalité. Une fois et jamais plus. Comme la vie impossible à revivre. Rien ne sera exigé sinon l’honnêteté d’un engagement difficile de toute la personne. Le travail est à cet endroit. Car apprendre c’est vivre. Les répétitions sont exclues. Le rêve dansant dont il est question est de croire en la réalité immédiate du vivant jamais différé. Le rêve n’est plus le revers d’une réalité inaccessible, idéalisée, inatteignable, promesse lointaine d’une vie imaginaire : le rêve est la réalité incarnée ici, incarnée maintenant. Le rêve dansant appelle un abandon total de soi à une transformation incertaine, simplement possible, inestimable, continue.

J’imagine Einstein faisant cours à des classes de 6e. C’est Pina Bausch dans Les rêves dansants. Tâche impossible. Tâche nécessaire. Croire que le désir est la condition du travail. Que le travail naît du désir. L’École ne réunit jamais les deux ensemble. Le travail y est toujours une valeur d’échange. Jamais le lieu d’une découverte. Seule une grande artiste, seul un grand génie sont capables de s’abandonner avec confiance au dépourvu.

La plupart des profs aiment les bons élèves parce que leurs réponses sont prévues d’avance.

BONUS

Les rêves dansants (1)

Les rêves dansants (2)

Les rêves dansants (3)

Les rêves dansants (4)

Rêves dansants