Remettre son masque entre deux cacahouètes, ça n’était pas tenable. À l’heure du relâchement apéritif, le président Macron en a pris la mesure et décidé de recourir à la méthode classique : plus de la même chose qui ne marche pas. Il s’agit de préserver la vie en la privant de sens et de tuer les leçons du confinement passé. Ça ne marche pas, il faut donc persister jusqu’à épuisement des résistances – les gens, le virus, la santé.
Ça ne marche pas, quelques pétitionnaires – réfractaires, inciviques, complotistes – s’en alarment, mais la logique présidentielle veut à tout prix renoncer à mettre en place une politique de santé publique : des lits disponibles, des gens formés, des salaires décents, une anticipation des crises écologiques et sanitaires. Depuis la grippe de 1918 et les épidémies des vingt dernières années, nous n’avons pas eu le temps de nous y préparer.
Au lieu de quoi, une politique des médailles, des slogans et des applaudissements (+ punitions pour aiguiser les vocations). Les plus riches seront richement confinés. Les plus pauvres prendront leurs maux en patience. À chacun de porter sur le nez la responsabilité de ce qui lui arrive. – T’avais qu’à mettre ton masque au lieu de bambocher ! T’avais qu’à télé-travailler ! L’état ne peut pourvoir aux besoins de tous. (Quand on a faim, on a le choix : on bien manger ou bien réduire son appétit.)
Et cependant, comme le dit avec clarté l’un de nos économistes les plus pugnaces : « C’est l’État providence qui soutient l’économie, pas l’inverse. » Je vous invite à l’écouter.
« Ce n’est pas en quelques mois que nous pourrons créer une stratégie complètement différente ». Le Président le dit sans rire. (Je vous encourage à le réélire.) Une politique est sans utilité face à l’urgence patiemment construite pour détruire les politiques durables de soins publics. Mille chefs de service hospitalier démissionnent de leurs fonctions. Mais peu importe ce qu’ils disent. Ces gens-là ne connaissent rien à leur métier !
Plus de la même chose d’un délire prophylactique de mesures inutiles, à force, ça risque de marcher. Il suffirait pour en comprendre la démarche de noter, dans les discours administratifs, le retour du refrain adoucissant, façon méthode Coué : « Prenez soin de vous et de vos proches. » Plus besoin d’un médecin : on compte sur vous pour vous soigner.
Le confinement, de fait, devient la seule option possible pour sauver la vie des bien portants en accentuant, chez ceux qui vont mal, les effets des abandons successifs des politiques publiques. Les épidémies de suicides, de violences familiales, de désespoirs et de folies, auxquelles le confinement fait place, nous donneront une mesure plus exacte de la santé en France pendant un quart de siècle de politiques d’urgence.
Plus de la même chose qui ne marche pas. La méthode a déjà fait ses preuves dans l’éducation. Ça ne marche pas, mais nous continuons à égrener notre morale civique de l’effort et du mérite en déplorant les inégalités sans les changer. « Ce n’est pas en quelques mois que nous pourrons créer une stratégie complètement différente. »
Dans les deux cas, de la santé et de l’école décapitées, des héros, des mots d’ordre et des cérémonies commémoratives te seront servis et chantés pour patienter jusqu’à la fosse commune. Une place t’est réservée.
« …lilas bien qui lilas le dernier ».
Faire chanter ensemble est le plus sûr moyen de s’emparer de la respiration des corps et d’obtenir le silence de la pensée dans l’amplification organisée de ce qu’il faut entendre et de ce qu’on doit clamer.
Marie José MONDZAIN, Confiscation. Des mot, des images et du temps.
Éditions Les liens qui libèrent, 2017, p. 27