EN ATTENDANT LES MASQUES, prenons le voile. Il fait un masque commode. Ne nous laissons pas contaminer par leur manque d’imagination.
D’ailleurs, le masque est un bâillon utile. Comme le voile dès qu’on l’impose ou qu’on l’interdit. Impossible de babiller sous le bâillon. Ruminer, à la rigueur. Après la guerre, il suffira de compter les mesures prises contre la liberté d’aller et de venir, pour s’en convaincre, en frémir ou s’en réjouir, selon nos sensibilités.
En attendant, désengorgeons les prisons en multipliant les emprisonnements de la jeunesse délinquante. C’est le mot d’ordre du moment, parmi d’autres du même acabit. La méthode est aussi efficace que la guerre sans panique déclarée le 16 mars, le port de masques invisibles (de Playtex ?) ou les applaudissements solidaires des services publics en ruines. Je ne vois pas de meilleur moyen de préparer la barbarie douce et la démocratie totalitaire à venir. L’injonction paradoxale en est la forme rhétorique de prédilection. Nous y avons été exposés à haute dose. Nous passerons du confinement à la conviction.
En attendant que les masques tombent du ciel sur les prochaines réformes pour l’hôpital, faisons nôtre (mais pas trop) la devise de Descartes, « J’avance masqué » – d’un masque intéRIEUR et prudent. Ne nous dévoilons pas trop. Rions sous cape et fourbissons l’épée de notre mauvais esprit.
Un visage nous identifie trop vite. Mais une peau lisse tendue par le sérieux de notre époque stérile fait un masque tout à fait convenable.
Il nous restera à songer, après la guerre, à ériger un monument à nos morts et à nos grands résilients.
Et comme me le répètent mon ophtalmo et ma dentiste en annulant des rendez-vous aussi négligeables que mes remboursements : « Surtout, prenez soin de vous ! »
(Merci à FP et LB, comploteurs masqués, dont les conversations déconfinées sont les meilleures pourvoyeuses d’antiviraux.)
« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage ou, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »
Aldous Huxley, Le meilleur des mondes (1932)