Ces pages sont consacrées à l’exploration des principes et des attitudes de l’Approche centrée sur la personne (ACP) à partir des textes de Rogers et des pratiques passées et contemporaines.

ÉLAN VITAL ET MOUVEMENT

Rogers s’est rendu compte au début de sa carrière que la qualité de la relation avec ses patients était bien plus importante dans l’aide thérapeutique qu’il leur apportait que la technique ou la méthode utilisée (Jung faisait le même constat dans les années 1930). Il en a fait le fondement de ses recherches et de sa pratique, s’efforçant tout au long de sa vie et dans son enseignement de développer les moyens de créer une relation d’aide et un climat propice au développement de la personne humaine.

Il s’est par ailleurs rendu compte que toute vie humaine est animée par un principe de vie, un élan vital, une « propulsion innée », qu’il voit confirmée par sa pratique et les recherches scientifiques de son époque, celles de Prigogine notamment. Chaque être vivant, écrit-il dans Le développement de la personne (On Becoming a Person), est doté d’une capacité de croissance et de développement qui lui permet de puiser en soi les forces nécessaires pour passer de la potentialité à la réalité, pour peu que certaines conditions soient réunies. Il nomme cette force vitale, présente dans tout organisme vivant, la « tendance actualisante » (the actualizing tendency).

« La vie, écrit-il, est un processus actif et non passif. » La vie est changement et mouvement, à l’opposé de la vision figée du déterminisme. C’est en ce sens que Rogers et les psychologues humanistes ont placé l’expérience individuelle au centre de leur approche thérapeutique. L’expérience est le point de contact avec la tendance vitale présente en chaque être humain. C’est aussi le fondement de cette approche non-directive de la relation humaine, non-directivité souvent mal comprise, à l’opposé d’un laisser-faire auquel elle est hâtivement réduite.

LES TROIS ATTITUDES DE LA RELATION D’AIDE DANS L’APPROCHE CENTRÉE SUR LA PERSONNE

Dans les domaines de la relation d’aide, l’approche centrée sur la personne s’emploie à créer des conditions favorables à la croissance de cette puissance vitale auto-réalisatrice. Rogers se rend compte que ses recherches dans le domaine de la psychothérapie sont extensibles à tous les domaines de l’activité humaine : l’éducation, le soin, la vie dans les organisations ou la diplomatie.

Trois attitudes permettent aux accompagnants, qu’ils soient enseignants ou travailleurs sociaux, chefs d’entreprise ou thérapeutes, de faciliter cette croissance chez ceux qu’ils encadrent ou accompagnent.  La personne en position d’accompagnement est perçue comme  facilitateur.

La congruence. Elle est le fondement des deux autres attitudes, ce sur quoi elles reposent. La congruence se manifeste par une adéquation pleine et entière entre ce qui est vécu et perçu par le facilitateur. Rogers parle aussi d’authenticité. Les  mouvements intérieurs, les sentiments négatifs ou positifs, confus et incertains, sont accueillis et acceptés dans le cadre de la relation. Libre au facilitateur d’en faire état, s’il le souhaite, dans la mesure aussi où ses mouvements intérieurs, pensées ou émotions, relèvent explicitement de la relation d’aide proprement dite et non de ses peurs ou de ses besoins propres.

La considération positive inconditionnelle (unconditional positive regard). Elle suppose que le facilitateur accepte toutes les manifestations présentes chez la personne qu’il accompagne, sans jugement positif ou négatif, de manière à ce que puisse être exprimé pleinement le sentiment ressenti. L’acceptation de ce dont les personnes ont peur ou honte est l’un des leviers du changement. Ce qu’une personne ressent et vit peut être exprimé sans susciter rejet, peur ni présenter de menace. « Si elle prend conscience de ses pulsions agressives et de ses élans d’amour ; des attentes de la société à son égard et en même temps de ses attentes personnelles, de son égoïsme et de son altruisme, son comportement en deviendra plus harmonieux, ajusté et constructif », [Rogers, Le développement de la personne, chap. 15, Dunod, 2006, p. 234, traduction revue].

La compréhension empathique. Elle suppose la capacité d’entrer dans le monde de l’autre et de suivre le flux changeant des sentiments et des pensées qui s’y déploient, sans y porter aucun jugement, sans donner aucune interprétation, sans vouloir y apporter un commentaire ni même un encouragement. L’empathie est un processus, non un état, à la fois cognitif et émotionnel. La compréhension empathique n’a de sens que si le facilitateur est en mesure de communiquer à la personne écoutée ce qu’il a compris d’elle.

Je vous invite à imaginer les dispositions à prendre, en soi d’abord, pour mettre en place, dans une classe, dans le mouvement d’un cours, l’approche centrée sur les étudiant.e.s. Ça n’est pas simple, mais c’est une perspective riche en surprises. Le savoir livresque n’y suffit pas. La bienveillance ou la congruence s’apprennent péniblement par l’expérience, elles ne se récitent pas. Impossible de faire semblant très longtemps. C’est pour cela qu’un pan entier du savoir inscrit dans la mémoire est sans grande utilité, faute d’un prolongement dans la réalité des existences. C’est ce que l’École n’a pas encore compris mais que la société civile a intégré depuis 20 ans.

J’en fais l’expérience vive et complexe chaque jour.