Dans mon nouvel espace tendu d’un blanc moelleux, je me suis dit soudain, frappant d’une paume mon front obtus : Il faut interdire aux gens de mourir !
D’abord murmuré à voix basse, comme une curieuse litanie d’un mur à l’autre de mon nouveau chez-moi, mon chant est devenu une psalmodie, un doux refrain et puis un hymne dédié à la santé publique. Arrêtons de mourir ! Arrêtons de dilapider nos vies. Préservons-les goutte à goutte, ne cédons pas aux séductions de l’Au-delà.
Arrêter de mourir est la seule solution sensée contre l’épidémie, les pidémies et les pan-pandémies de l’avenir – on l’appelle comme on veut, le covid, la covid, ne reculons devant aucune arête lexicale pour préserver le bien commun. Avalons de travers s’il le faut. Personne n’en mourra plus.
Nous stoppons la mort net.
Nous cessons de suivre notre pente naturelle et nous reprenons les commandes : – Une vie, je vous prie ! Désormais, tous à la verticale ! Il n’est plus temps de tousser dans son coude ni même de retourner son masque – mourir n’est plus permis. Demandons à nos grabataires un dernier effort civique.
Décrétons la vie éternelle pour tous ! Le crétin meurt, l’homme sage lui survit. (La mort est un vrai Castex chinois.)
J’étais heureux de ce projet de société à commander à nos représentants du commerce national pour reconstruire le bien commun, la Commonwealth, comme disent les Anglais (lâcheurs) – ou est-ce le Commonwealth ? On finit par douter des évidences mêmes.
Donc, c’est ainsi. Nous exécuterons la mort par décret, il le faut. Nos ministres se sont montrés pusillanimes. Nous devons encourager leur rage réformiste – et rager avec eux, grogner, beugler ou puputer, racler le sol de nos ergots – pour que la décision soit prise de mettre un terme au mal qui nous détruit : La mort, la mort, la mort – cette fable terrible – qu’il faut bien appeler par son nom, capable en peu de temps d’enrichir l’Achéron, ne fera plus aux hommes la guerre (ni même aux femmes d’ailleurs). C’était la guerre, c’est fini.
La politique est une affaire de choix, pas de point de vue. « Je vous interdis de mourir ! » Le Président l’a dit, et s’il ne l’a pas dit, il le dirait que ça ne m’étonnerait pas…
Enfin le bon sens parle. Plus besoin de nos masques des débuts découpés dans les vieux rideaux du salon, parfois dans un volet ; plus besoin de distanciation paradoxale dans nos forêts fermées, plus besoin de vaccin approximatif ni de recherche déprimée, plus besoin d’étamer nos paumes hydro-alcoolisées en longs applaudissements à la fenêtre, au risque d’addraber la gribbe, plus n’est besoin non plus de casser la tirelire publique pour maintenir nos hôpitaux désaffectés (la maladie fera bientôt l’objet d’un traitement identique : interdisons la maladie) : La Mort a vécu ! Elle n’a jamais existé.
Dieu merci ! nos préjugés sont dissipés. Notre vision s’est élargie. Nous voici ouverts à la vie à vie, à la santé et à l’éducation en flux (ou est-ce en flu ?).
Arrêtons de mourir. Nous avons bien arrêté de soigner les gens et personne ne s’en porte plus mal (ceux qui dérogeront seront punis : une soirée avec Jean Castex suivie d’une vie au fond d’un trou).
À ma fenêtre, le ciel tombe – store mal accroché.