Dans un article faisant état des recherches à son époque, « Situation de la psychothérapie en 1930 », Jung défend avec puissance l’idée selon laquelle la psychothérapie n’est pas une technique mais une relation entre un médecin et son patient, de personne à personne. Voici quelques extraits de cet article :

 

1. On ne s’est que trop longtemps imaginé que la psychothérapie pouvait être pratiquée « techniquement », comme un formulaire médical, une méthode opératoire, un procédé tinctorial (…) La technique appliquée est même, dans une large mesure, indifférente, car la guérison dépend moins de la méthode employée que de la personnalité qui l’emploie. L’objet de la méthode n’est ni une préparation anatomique inerte, ni un abcès, ni un corps chimique, mais bien la totalité d’une personnalité souffrante. Ce n’est pas la névrose qui est l’objet de la thérapeutique, c’est le porteur de la névrose (p. 349).

 

2. Dans la névrose ce n’est pas un domaine pathologique clos qui surgit devant le médecin, mais un être malade, malade, non pas par la faute de quelque mécanisme ou de quelque centre d’infection isolé, mais dans la totalité de son être. Voilà qui est incommensurable avec toute technique. La personnalité du malade en appelle à la personnalité du médecin et non à quelques parties techniques. C’est pourquoi de bonne heure j’ai formulé l’exigence que le médecin lui aussi soit analysé. Freud l’a faite également sienne, ne pouvant manifestement échapper à la conviction que c’est le médecin et non pas une technique qui s’affirme en face du malade (p. 350).

 

Reléguant la théorie infantile freudienne au second plan de la démarche psychothérapeutique, Jung s’interroge sur la position du médecin psychothérapeute :

 

3. Il est vrai que la théorie infantile présente un avantage qui a sa petite importance : elle juche le médecin sur un piédestal, en tant que représentant de entendement sain, considéré et valable, faisant apparaitre du même coup le malade comme une pauvre victime des réalisations inconscientes de ses convoitises infantiles et perverses. Cela donne au médecin la possibilité d’affecter l’omniscience, d’éviter la confrontation d’homme à homme avec la personnalité de son patient, et de se barricader derrière une prétendue technique (…) Quel soulagement, par exemple, quand on peut dire dans une passe difficile de l’analyse : « Ce ne sont là que résistances », ou lorsqu’on peut se dispenser de prendre au sérieux l’argument de l’adversaire, grâce à la séduisante facilité d’une explication « symbolique », c’est-à-dire erronée – nota bene, sans demander au partenaire si l’explication à laquelle on s’arrête concorde ou non avec sa psychologie (pp. 353-354).

 

4. En vérité il faut être irrémédiablement aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’une pareille « technique » n’est en première ligne qu’une manifestation des présupposés subjectifs du praticien qui l’emploie (p. 355).

 

5. Le psychothérapeute (…) devrait au contraire comprendre pleinement que le traitement psychique d’un malade consiste en une relation dans laquelle le praticien se trouve aussi fortement engagé que son malade (p. 355).

 

6. La psychothérapie n’a pas affaire à des névroses, mais à des êtres, et c’est justement le beau privilège de la médecine psychologique de ne pas avoir seulement le droit mais bien aussi le devoir de soigner non pas des fonctions artificiellement séparées, mais l’homme tout entier. (p. 357).

 

(Dynamique de l’inconscient, chap. 2 « La névrose ou l’autorégulation psychologique », in Carl Gustav JUNG, La réalité de l’âme, t.1, Pochothèque, 1998, p. 347-365)

 

Je me demande si cette clarification n’est pas extensible à tous les métiers de la relation, à commencer par celui de l’enseignement. Dans cette perspective, la position magistrale devient un frein à la rencontre et à la confrontation de personne à personne. Voici un texte à mon goût pour célébrer toutes sortes de victoires.

 

 

Moins de pédagogie, plus de relation