... QUI RAFRAÎCHISSAIT d’un jet de pensée le visage d’autrui.
Cette époque-là est révolue. Nous n’aurons plus de ces fraîches disputes excédant d’une giclée soudaine notre humanité. Nous n’aurons plus de ces discussions rêches, assouplies par un soupçon de salive amicale.
Nous n’aurons plus de ces empoignades liquides et tumultueuses qui rendaient fraternels (et sororels itou) nos débats humains. Nous n’aurons plus de ces divergences enfiévrées par l’écume stagnant au coin de nos lèvres, comme une idée à naître. Nous n’aurons plus de ces diarrhées logomachiques qui témoignaient au moins de notre aspiration à un monde meilleur. Nous n’aurons plus et jamais plus de ces chamailleries, de ces polémiques, de ces controverses humides encore de nos langues alourdies par le vin d’un soir.
C’en est fini de nos colloques sentimentaux d’une bouche à l’autre, de nos pilpouls débraillées têtes penchées sur le texte d’un monde commun. C’en est fini de nos chicanes frontales, de nos conversations rapprochées, de nos différends intimes, de nos entretiens sensuels, de nos contentions physiques, de nos débats effervescents, de nos arguties méphitiques, de nos conférences séminales, de nos querelles spumescentes, de nos bagarres musquées, de nos porosités un tantinet baveuses et sautillantes. Nous ne converserons plus d’une bouche à une autre mortelle. Nous ne jouirons plus des « intempéries du langage ».
– Ton écume, tu la gardes !
L’heure est au masque. Nos bergamasques appartiennent au passé. Nos luths sont transis. L’heure est à la prophylaxie et au profilage numérique.
Ça nous pendait au nez, derrière nos écrans tactiles. Nous aurons de quoi le tenir, le cacher et nous moucher en même temps. Le masque est devenu le bandage herniaire de notre âme malade plus encore qu’un remède efficace en cas d’épidémie.
Chacun.e le porte en travers du visage comme une gibecière offerte aux barbaries douces et solidaires qui nous arrivent à pas de charançon, sans fard ni masque. Notre bonne volonté suffira.
Lorgnant d’un coin de l’œil encore un peu ouvert les trombines sympathiques de mes concitoyennes, à l’heure règlementaire de la promenade, concitoyens de même, je me suis dit, découvrant la diversité des étoffes et des formes, que le masque pourrait devenir le double générique de notre humanité.
Appliqué sur la tête, il fait un chapeau ridicule. Mais sur le nez, il découpe à grands traits nos identités perceptibles sans distinguer les personnes autrefois pourvues d’un visage.
J’en ai remarqué des élégants, des rustiques, des chirurgicaux, et même des chirurgical, des 3-plis, des sans-pli, des valvés, des avalés-ou-quasi, des débraillés-auxquels-on-voit-le-nez, des sur-le cou, des effrontés, des retournés-du-mauvais-côté, des usagés, des blancs immaculés, des plissés, des fleuris, des fripés, des chétifs, des fortunés, des élastiques, des à-votre-place-je-n’y-fourrerais-pas-mon-nez, des débordés-par-les-barbes, des avec-lunettes-embuées, des essorés, des défraîchis, des usés, des frais-sortis-de-la-boîte, des muselières, des bâillonnant, des carrément-bouledogues, des ballonnant, des Vous-appelez-ça-un-masque, des flasques, des pour-la-forme – masques aux identités perceptibles encore, interchangeables bientôt…
– Tu t’appelais comment, déjà ?