ÉTAT DES LIEUX

Rien ne peut s’enseigner, tout peut s’apprendre. J’y crois depuis le début. Je n’ai jamais rien appris que par moi-même. L’école a été pour moi un espace d’éveil et de découverte, plutôt que  d’enseignement.

Mon parcours et ma vie m’ont progressivement conduit à développer une approche novatrice vieille de plusieurs siècles et active depuis plusieurs décennies. De Montaigne à Comenius en passant par Montessori, Piaget, Oury frères, Neill, Maslow ou Carl Rogers, les théoriciens de l’éducation et de l’apprentissage disent à peu près la même chose. Chacun rappelle selon sa sensibilité que l’on n’apprend que ce que l’on sait déjà ; que la contrainte nourrit les esprits sans changer les personnes ; qu’une tête n’est pas un vase ; qu’un étudiant est une personne ; que la culture n’est rien sans la liberté.

Rien de plus étonnant qu’une classe dans un pays démocratique comme le nôtre : le prof y pose en maître, tolérant souvent, débonnaire parfois, mais les paroles contradictoires et les erreurs sont immédiatement portées au débit de celui auquel elles échappent. Tu ne te tromperas pas ! dit le maître, malgré son sourire engageant. Et tu ne me contrediras jamais ! (ici on voit ses dents.) Toute parole libre, éventuellement maladroite, est prise par des professionnels de l’éducation pour une atteinte à leur autorité et à leur personne. Les IUFM et les ESPE n’ont pas changé grand-chose à cela.

L’attachement disciplinaire réduit injustement la pratique éducative à la discipline. On tourne en rond. Les élèves se dégoûtent de l’étude et du savoir dans les lieux qui leur sont consacrés.

Ce type d’enseignement produit des diplômes en masse et des rapports de force stériles. La connaissance devient inutile. Elle consume énergie et temps sans remplir ses fonctions sociales : rendre les gens autonomes et heureux. Douze ans d’apprentissage scolaire des langues étrangères donnent depuis des décennies en France une société monoglotte crispée sur ses difficultés orthographiques et ses concours de dictées.

Les nuances de ce constat sont heureusement nombreuses et possibles. La plupart des enseignants sont de bonne volonté, dévoués à leur métier, attentifs à leurs élèves. Mais c’est comme si les expériences socialement et pédagogiquement utiles ne parvenaient pas à retenir l’attention des intéressés : parents, étudiants, enseignants, responsables politiques restent attachés à la prééminence du cours magistral, des diplômes, des notes et des sanctions. Des émissions dites culturelles dépensent chaque année à la radio des temps d’antenne et de conseils pour réussir les épreuves du bac en histoire ou en  philo. À quoi peut bien servir un examen de philosophie ?

Les débats récurrents sur le port de la blouse illustrent la nature des aspirations nationales : on n’apprend bien que sous la férule d’un maître, à la lumière de son savoir. Les neurosciences (balbutiantes), les recherches en psychologie sociale, les expériences pédagogiques dans et hors des lycées et collèges novateurs restent lettre morte. Censée enseigner le vrai, l’école française se replie sur ses fantasmes d’autorité et de baisse du niveau.

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Un enseignant ne risque rien. C’est aussi lui qui risque le moins dans sa pratique. Comme l’écrit Jean Oury : « Quel est l’avenir de l’élève ? Souvent c’est d’être professeur » (Onze heures du soir à La Borde, Galilée, 1980, p. 341). J’aimerais contribuer à changer cela.

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