Le triangle de Stephen Karpman dit Triangle dramatique modélise les échanges, dits aussi transactions, qui « tournent mal » entre deux ou plusieurs personnes. La communication entre les interlocuteurs est alors perturbée au point de ne pas pouvoir se poursuivre de façon fluide et agréable. Chacun sort de l’échange plus ou moins mécontent de lui-même, de l’autre et de la relation.

Les acteurs du Triangle dramatique recherchent la satisfaction de besoins profonds qu’ils ne savent pas reconnaître et, par conséquent, ne savent pas satisfaire autrement qu’en jouant de cette manière

Stephen Karpman est un disciple d’Eric Berne, fondateur de l’Analyse transactionnel. Sa théorie est en relation étroite avec les jeux psychologiques développés par Claude Steiner, dans le prolongement des travaux de Berne.

La théorie de Karpman modélise les relations qui tournent mal entre interlocuteurs, quel que soit le degré de désagrément – de l’altercation verbale au meurtre. Toutes les nuances relèvent du Triangle dramatique. Incidemment Berne a défini des degrés selon la nature des jeux psychologiques, dont le Triangle dramatique est la modélisation ;

  • 1° degré : les échanges se déroulent entre deux ou plusieurs personnes dans un cadre privé, plutôt fermé.
  • 2° degré : les échanges se déroulent entre deux ou plusieurs personnes dans un espace public, ouvert, avec des personnes extérieures, prises à partie ou à témoin.
  • 3° degré : les échanges finissent devant une autorité d’arbitrage : police, tribunal, hôpital, chef de service, etc.

LE PRINCIPE GÉNÉRAL EST LE SUIVANT : selon Karpman, les relations qui tournent mal obéissent toutes à un modèle commun. Les personnes impliquées dans la triangulation entrent dans la relation à autrui selon un rôle privilégié : Sauveteur, Persécuteur ou Victime. Son interlocuteur lui répond de même. Chacune des personnes change de rôle au cours des échanges. Toutes se retrouvent mécontentes l’une de l’autre et de soi-même. C’est à ce sentiment de désagrément profond et au changement de rôle que se reconnaît une relation relevant du Triangle dramatique.

Le triangle dramatique peut être schématisé ainsi :

Le Triangle dramatique de Karpman

Le Persécuteur représente l’excès de normes, le regard excessivement critique, la propension à vouloir contrôler ou à dénigrer autrui. Il est associé, selon la théorie de l’Analyse transactionnelle, au Parent normatif négatif.

Le Sauveteur représente un excès de bienveillance, le désir de faire à la place des autres, même quand ils ne nous ont rien demandé. Il est associé, selon la théorie de l’Analyse transactionnelle, au Parent bienveillant négatif. Le Sauveteur se donne toutes les bonnes raisons d’agir à la place d’autrui, au risque très souvent de le contrôler et de lui imposer ses propres volontés.

La Victime représente l’excès de détresse, la pente naturelle vers la plainte, l’insatisfaction, le sentiment de n’être pas à la hauteur. Elle est associée, selon la théorie de l’Analyse transactionnelle, à l’Enfant adapté soumis négatif.

La seule manière de ne pas entrer dans le Triangle dramatique, c’est-à-dire dans une relation réciproquement nocive, est de rester dans la réalité la plus objective : celle des faits. Elle est associé, selon la théorie de l’Analyse transactionnelle, à l’État du Moi Adulte.

NB : Ces réactions et rôles échappant à la conscience des personnes, la recommandation précédente n’a pas beaucoup de sens. Comment éviter ce que l’on n’identifie pas ?!

Dans le Triangle dramatique, notre fonctionnement obéit toujours au même scénario : celui des jeux psychologiques. Dans un échange entre deux ou plusieurs interlocuteurs, une amorce permet l’accroche à partir de l’un des pôles du Triangle (P, S,V) ; l’autre mord selon son rôle de prédilection (P, S,V) et change ensuite de rôle au cours des transactions (échanges) qui suivent, passant de Sauveteur à Persécuteur ou de Persécuteur à Victime. C’est à ce changement de rôle que l’on reconnaît le Triangle dramatique à l’œuvre – autrement dit, un jeu psychologique.

Le film Oui, mais d’Yves Lavandier (2001), dédié à l’illustration des théories de l’Analyse transactionnelle, donne un exemple de Triangle dramatique :

Le jardinier trouve inconsciemment son compte à la situation de Victime (le bénéfice est de pouvoir se plaindre et de disqualifier le bonheur des autres). Le jardiner se plaint (Victime) de ne pouvoir aller au cinéma, mais réfute une à une les solutions que lui propose son ami (Sauveteur). À la fin, l’ami s’impatiente et devient Persécuteur avant de passer à son tour Victime : son collègue est devenu Persécuteur entre temps. Les deux sont mécontents sans véritablement comprendre ce qui s’est passé. Ils ont sans doute déjà eu l’occasion de jouer à ce jeu, avec des variantes. Les jeux psychologiques comme le Triangle dramatique relèvent d’un mode de fonctionnement inconscient.

EXEMPLE CLASSIQUE (dans les organisations)

Des collègues se plaignent (Victime) de faire le travail d’autres collègues, moins investis. Ils font le travail à la place de leurs collègues en se donnant de bonnes raisons et, ensuite, cassent du sucre sur le dos des collègues : « Ils n’en foutent pas une rame ! C’est toujours les mêmes qui travaillent ! Il y en a marre ! » Etc.

Les collègues remplacés n’ont pas été directement sollicités et ne se plaignent de rien. Le problème n’a pas été abordé avec les intéressés. Les problèmes tus ou tabous servent souvent d’amorce et de prétextes à des Jeux institutionnels. C’est en cela que les collègues qui travaillent à la place d’autres entrent dans la relation par un pôle négatif (Sauveteur devenant Persécuteur et finalement Victime de leur « bonté »). Les collègues Sauveteurs pourraient très bien ne rien faire et laisser aux autres la responsabilité du travail qu’ils ne font pas. Mais ils se font un devoir de travailler à la place des autres pour ensuite, sans en avoir conscience, casser du sucre sur leurs collègues et se valoriser ainsi de ce qu’ils font (« Si l’on ne faisait pas le travail, le service en pâtirait » ; « Il faut bien que le travail soit fait ») ; les généralisations sont aussi le signe de cette triangulation dramatique (« Si tout le monde y mettait du sien, ça irait mieux » ; « C’est toujours les petits qui font le travail des chefs »).

C’est à la plainte, aux généralités et à la disqualification qui suivent que l’on décèle le Triangle dramatique. Des collègues qui feraient le travail d’autrui sans se plaindre, en accord avec leurs valeurs profondes d’altruisme pleinement assumées, n’entreraient pas dans le Triangle dramatique. Ils obéiraient à une conviction qui trouverait dans sa réalisation sa propre satisfaction.

Dans le Triangle dramatique, l’action est un prétexte pour obtenir des bénéfices secondaires inconscients : reconnaissance de sa compétence, image de soi-même incertaine, disqualification des autres pour renforcer l’image positive de soi, etc. Les acteurs du Triangle dramatique recherchent la satisfaction de besoins profonds qu’ils ne savent pas reconnaître et, par conséquent, ne savent pas satisfaire autrement. C’est par ce biais qu’ils parviennent à donner un sens à ce qu’ils font.

C’est épuisant, mais humain. Nous sommes généralement enclins, à un moment ou à un autre, à entrer dans des relations de ce type. Le travail sur soi, en psychothérapie notamment, permet de les limiter en prenant en compte nos besoins profonds et souvent cachés. Certains préjugés et messages sociaux renforcent ce fonctionnement (Il ne faut passe se vanter, Il faut travailler pour vivre, On n’est pas là pour rigoler, etc.).