Cette page se nourrit pour l’essentiel du livre d’Alice Krieg-Planque, Analysez les discours institutionnels, Armand Colin (2014).

DÉFINITION

Selon Alice, Krieg-Planque, « l’analyse du discours s’arrête sur les formes de l’expression, supposées constituer des enjeux non-réductibles à des contenus » (p. 43). En d’autres termes, l’analyse des formes d’un discours ignore globalement son contenu sémantique. L’analyse d’un discours n’est plus limité à sa dimension idéologique, mais aux choix rhétoriques, ces derniers pouvant se révéler fortement idéologiques.

À notre niveau, rien ne nous interdit d’envisager l’analyse d’un discours selon son contenu thématique, la forme de l’expression ou les deux à la fois. Choisissez un discours ou un extrait de discours contemporain, tweets inclus.

APPROCHE GÉNÉRALE

Analyser un discours, institutionnel ou non, revient à mettre en évidence les manières dont les mots sont utilisés, en examinant notamment :

  • Les mots eux-mêmes (sémantiquement, rhétoriquement)
  • le canal de diffusion et ses présupposés
  • Les données implicites et explicites pour les comprendre
  • Le locuteur ou l’instance qui les produit
  • Les circonstances dans lesquelles ils s’inscrivent
  • Une perspective historique plus vaste de la production de discours à travers le temps (?)

OUTILS 1 : LES FONCTIONS DU LANGAGE (Roman Jakobson)

LES SIX FONCTIONS DU LANGAGE

Dans un article aujourd’hui célèbre, Linguistics and poetics, le linguiste américain d’origine russe, Roman Jakobson, a repéré six fonctions du langage, étendant le champ de la linguistique à la critique littéraire sous la forme d’une linguistique appliquée, supposée être objective et scientifique.

Au-delà du débat scientifique, cette classification se révèle pratique.

SOURCE : Sans nom d’auteur. Consulté le 06/01/2021. Consultatble en ligne à l’adresse suivante : https://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/ia37/6_ASH/Les_fonctions_du_langage_selon_Roman_Jakobson.pdf

  • Fonction expressive ou émotive (expression des sentiments du locuteur). L’émetteur est au cœur de cette fonction ; il exprime ses sentiments, ses opinions. Dans le discours cette fonction se traduit par des exclamations, des verbes de sentiments ou de jugement, des termes évaluatifs.

« Ah! Qu’il fait beau ! »

  • Fonction conative ou impressive (fonction relative au récepteur). Elle est centrée sur le récepteur chez qui l’émetteur veut faire naître des impressions ou des réactions. Cette fonction se traduit par l’emploi des marques de la 2nde personne, d’impératif, de tournures interrogatives, d’exclamations.

« Tu as vu comme il fait beau ? »

  • Fonction référentielle (le message renvoie au monde extérieur). Elle fait porter le langage sur le référent (ou contexte) sur lequel il s’agit de donner des informations : narration, description, explication… Les phrases déclaratives et le mode indicatif seront alors privilégiés.

« Il fait beau. »

  • Fonction phatique (mise en place et maintien de la communication). La fonction phatique est utilisée pour établir, maintenir ou interrompre le contact physique et psychologique avec le récepteur. Elle permet aussi de vérifier le passage physique du message.

« Bonjour, ça va ? »

« Allô ? »

« Heu… »

« N’est-ce pas ? »

  • Fonction métalinguistique (le code lui-même devient objet du message). Cette fonction entre en jeu quand il s’agit de donner des informations sur le code, ses éléments, son fonctionnement, comme édicter une règle de grammaire. Le préfixe méta-signifie « au-dessus » ; une métalangue est donc une lange qui permet de parler d’une autre langue.

« L’expression il fait beau signifie que le ciel est bleu et que le soleil brille. »

  • Fonction poétique (la forme du texte devient l’essentiel du message). L’émetteur peut avoir la volonté de soigner particulièrement l’esthétique de sa signification. Cette fonction ne touche pas seulement la poésie, mais aussi les proverbes, les jeux de mots, les slogans…

Slogan, jeu de mots d’une ancienne marque de distributeur : « Mammouth écrase les prix » ou encore : « Il n’y a que Maille qui m’aille. »

Ces fonctions ne s’excluent pas les unes les autres, mais souvent se superposent. Le langage peut ainsi servir à plusieurs choses à la fois : maintenir le contact (fonction phatique) tout en prenant pour objet le code du message (fonction métalinguistique), par exemple, dans « As-tu entendu ce que je t’ai dit ? »

LES FONCTIONS DE LA COMMUNICATION

Elles mixent et reprennent les précédentes, qui relèvent naturellement de la communication .

SOURCE : LONGEART, Maryvonne. Consulté le 6/01/2021. En ligne à l’adresse suivante : http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/notions/langage/convers/textes/jakobson/fonction.htm

Tableau récapitulatif des différentes fonctions du langage

FONCTION FINALITÉ Élément de la communication
sur lequel cette fonction met l’accent
Informative
Ex.: « Il pleut »
Communiquer des informations Le référent
Expressive
Ex.: « Malheur ! »
Extérioriser des sentiments Le locuteur
Conative
Ex.: « Votez pour moi! »
Provoquer une réaction
Le but est de faire agir ou réagir l’interlocuteur (faire la morale, menacer, ordonner, faire de la publicité ou une campagne électorale…)
Le récepteur
Phatique
Ex.: « Allô? »
Établir le contact
Il s’agit de s’assurer du lien entre les interlocuteurs.
Le canal
Poétique
Ex.: « Le sanglot long des violons de l’automne »
Faire œuvre d’art
Dans l’usage poétique, il y a création d’un objet autant (ou plus) que d’un message.
La forme du message
Discursive
Ex.: Une dissertation, une démonstration
Élaborer sa pensée
Le langage permet de développer ou d’éclaircir sa pensée.
Le contenu du message
Métalinguistique
Ex.: «  »chou » prend un x au pluriel »
Parler de la langue elle-même
On utilise la langue spécifier la langue : préciser le sens d’un mot, donner une règle de grammaire…
Le code
Performative
Ex.: « La séance est ouverte. »
Agir
Dans ce cas, le fait de dire, si c’est dit par la bonne personne dans les bonnes circonstances, c’est faire une action (promettre, baptiser…)
NB : Cette fonction, identifiée par John Austin n’est pas mentionnée par Mounin.
Le contexte

NB : Toutes ces fonctions sont des modalités de la fonction générale de communication.

OUTILS 2 : LES ACTES DE LANGAGE ( John Austin)

Différents linguistes, dont John Austin parmi les plus géniaux, se sont penchés sur la nature opérationnelle, voire opérative, du langage. En d’autres termes, le langage n’a pas pour seule fonction de décrire la réalité (« l’illusion descriptive » disent ces linguistes ), mais d’abord d’agir sur elle. Le livre le plus fameux de John Austin s’intitule à juste titre : Quand dire, c’est faire ( Éditions du Seuil, Paris, 1970, traduction par Gilles Lane de l’anglais : How to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, éditions J.O. Urmson, Oxford, 1962). Ces linguistes repèrent ainsi plusieurs actes de langage :

Le constatatif : point de départ, le constatatif décrit le monde. « Ce blog est hébergé par OVH. Cette affirmation a une valeur de vérité ou de fausseté.

Le performatif : agit au moyen d’une affirmation opérative. «Je déclare la séance ouverte. » Pour être réalisé, le performatif dépend de quatre conditions :

  • la déclaration proprement dite
  • le statut du locuteur (Maire),
  • l’accord ou la compréhension des interlocuteurs (Les mariés),
  • la loyauté du déclarant (il est en mesure de valider ce qu’il dit)

Austin a ensuite développé trois autres concepts intéressants :

Les actes locutoires : ils accomplissent l’action de dire quelque chose indépendant du sens (« C’est joliment décoré chez toi. »*)

Les actes illocutoires : ils accomplissent quelque chose du fait du sens de ce qui est dit (« L’énoncé précédent peut réaliser l’action de complimenter. »)

Les actes perlocutoires agissent par les effets sur la réalité (« La personne à qui il est dit C’est joliment décoré chez toi peut se sentir réconfortée. »)

Cf. Exemples empruntés au livre d’Alice Krieg-Planque, Analysez les discours institutionnels, Armand Colin (2014)

OUTILS 3 : FIGURES DE STYLE

https://www.espacefrancais.com/les-figures-de-style/

AUTRE SITE : https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/les-figures-de-style-f1349

UN EXEMPLE POUR COMPRENDRE

« Nous sommes en guerre », Emmanuel Macron, président de la République, le 16 mars 2020.

La dimension illocutoire pourrait permettre d’entrer dans l’analyse de cette portion de discours. Pour rappel, les actes illocutoires accomplissent quelque chose du fait du sens de ce qui est dit (« L’énoncé précédent peut réaliser l’action de faire peur, d’alerter ou de mobiliser. »)

L’ affirmation produit un choc, introduit une rupture entre le temps d’avant et de l’énonciation. Il n’est pas nécessaire de savoir si l’affirmation Nous sommes en guerre est vraie ou fausse. Avant même cette possibilité, la dimension illocutoire produit une secousse de deux manières : le mot guerre et le pronom nous, qui associe je + vous, ne laissent aucun autre choix possible.

Cette affirmation a ainsi une valeur en apparence performative dans le sens où la déclaration du Président cherche à faire exister ce qu’il déclare. Nous sommes en guerre parce que je dis que nous sommes en guerre : en le disant, je la déclare. De fait, le choc est d’autant plus grand pour trois raisons :

  • Chacun a pu percevoir la réalité autrement et ne pas y être préparé
  • Chacun (je) est dépendant du collectif (nous)
  • Le statut du locuteur (président de la République) rend le nous encore plus opérant (sa position présidentielle lui donne un pouvoir exécutif).

De fait, le discours a pour intention de créer un choc, une rupture, le signalement d’un moment grave (c’est sa dimension illocutoire).

Il a aussi pour effet de créer une peur, une panique, une mobilisation, une docilité selon les personnes (c’est sa dimension perlocutoire).

La déclaration du Président se présente sous l’apparence performative tout en maintenant une ambiguïté. L’acte performatif de déclarer la guerre n’a pas eu lieu : « Je déclare la guerre à Covid 19 » (et donc nous sommes en guerre). De fait, les quatre conditions de réussite de l’énoncé performatif ne sont pas réunies :

  • La procédure de déclaration [Non]
  • Le statut du locuteur [Oui]
  • L’acceptation des autres participants / citoyens, citoyennes [?]
  • La loyauté du locuteur : A-t-il l’intention et les moyens de mener la guerre ? [La pénurie de masques montrera que non.]

Il y a donc au bout du compte abus performatif. La déclaration (Nous sommes en guerre) est une affirmation qui ne s’appuie sur aucune réalité , ni linguistique, ni procédurale. Le Président n’a pas officiellement déclaré la guerre à un ennemi réel (« Je déclare la guerre à Covid 19 » ), mais fait allusion à une formule performative (Je déclare la guerre) en utilisant une formule proche, métaphorique donc équivoque : Nous sommes en guerre, mais sans qu’aucune guerre n’ait été déclarée.

La réalité de la guerre repose sur une affirmation subjective, donc discutable, mais qui n’a pourtant pas été discutée (à l’assemblée nationale, par exemple). De même, le pronom personnel nous embarque des gens sans les avoir préparés ni les consulter. Ainsi, le président Macron embarque dans une guerre tout un pays (Je + vous) sans la déclarer, tout en laissant entendre qu’elle est là malgré tout.

Le président Macron semble convoquer surtout la dimension magique du langage, comme les enfants déclarent qu’ils sont Superman ou Wonder Women.  Cet usage pourrait aussi renvoyer à la fonction poétique du langage (selon Jakobson).

En d’autres termes, le président de la République se paye de mots en évitant de sombrer dans le ridicule d’une déclaration impossible et pourtant métaphoriquement présente : «Je déclare la guerre à Covid-19. » Déclaration sans doute plus exacte, qui aurait eu pour effet de signaler immédiatement l’absurdité de la déclaration au lieu de la rendre par métaphore audible, voire acceptable.

Au moins pour un temps.

DEUXIÈME EXEMPLE | Chat GPT 3,5

Peux-tu faire l’analyse du discours de François Hollande (13 novembre 2015) selon les catégories de John Austin des actes de langage, illocutoire, perlocutoire, performatif ?

« Mes chers compatriotes, ce qui s’est produit hier à Paris et près du Stade de France à Saint-Denis est un acte de guerre. Face à la guerre, le pays doit prendre des décisions appropriées. C’est un acte d’une barbarie absolue. Comme à chaque fois dans ces moments si graves, la France saura défendre ses valeurs et elle saura s’unir pour vaincre les terroristes. La France est forte, et même si elle peut être blessée, elle se relève toujours et rien ne pourra l’anéantir. »

https://chatgpt.com/c/6734dc73-af04-8007-893f-c2a504cd1d3f

13 novembre 2024, 18h20, en écoutant France Culture.

PROPOSITION DE OPEN IA, 3,5 :

Pour analyser ce discours selon les catégories de John Austin, nous allons explorer les actes de langage suivants : l’acte locutoire (ce qui est dit), l’acte illocutoire (l’intention derrière le discours), et l’acte perlocutoire (les effets sur les destinataires). Nous étudierons également le caractère performatif de certains énoncés du discours.

1. Acte Locutoire

  • L’acte locutoire se concentre sur le contenu littéral du discours, c’est-à-dire ce qui est effectivement dit. Dans ce texte, le locuteur décrit une situation dramatique (« ce qui s’est produit hier à Paris et près du Stade de France à Saint-Denis est un acte de guerre ») et utilise des termes forts pour désigner l’événement comme un acte de violence extrême (« barbarie absolue »). Il affirme également la résilience de la France et sa capacité à réagir face à une telle attaque.
  • Le locuteur enchaîne les phrases en s’adressant directement aux citoyens (« Mes chers compatriotes »), ce qui oriente le discours vers une communication solennelle, officielle et collective.

2. Acte Illocutoire

  • L’acte illocutoire correspond à l’intention du locuteur, c’est-à-dire, ce que le locuteur cherche à accomplir en énonçant ces mots. Ici, l’intention est multiple :
    • Informer : Le discours vise à informer les citoyens de la gravité des événements. En qualifiant l’attaque d’« acte de guerre » et de « barbarie absolue », le locuteur définit clairement la nature de l’événement pour les auditeurs.
    • Rassurer et rassembler : En évoquant la capacité de la France à « défendre ses valeurs » et à « s’unir », le locuteur cherche à encourager la solidarité nationale, à rassurer les citoyens sur la résilience de la nation, et à les unir face à une menace extérieure.
    • Justifier les actions futures : En affirmant que « le pays doit prendre des décisions appropriées », le locuteur introduit l’idée que des mesures spécifiques seront prises en réponse à l’attaque, ce qui prépare implicitement le public à accepter ces décisions.
  • L’acte illocutoire est donc celui de mobilisation et d’unité nationale face à une menace, tout en consolidant la légitimité des actions qui vont suivre.

3. Acte Perlocutoire

  • L’acte perlocutoire correspond aux effets produits par le discours sur les auditeurs, ce qu’il cherche à susciter chez eux. Dans ce cas, les effets attendus sont :
    • Solidarité et résilience : Le discours cherche à inspirer un sentiment d’appartenance nationale et à mobiliser les citoyens autour de valeurs communes.
    • Acceptation des mesures : En évoquant la nécessité de prendre des « décisions appropriées », le discours cherche à préparer les citoyens à accepter des décisions politiques et sécuritaires plus strictes, qui pourraient être mises en place en réponse aux attaques.
    • Renforcement du patriotisme : En exaltant la force et la résilience de la France, le discours vise également à éveiller un sentiment de fierté nationale et à inciter les citoyens à se rassembler et à soutenir le gouvernement.

4. Aspect Performatif

  • Le discours comporte également des aspects performatifs. Un énoncé performatif est un énoncé qui accomplit une action par le simple fait de le dire (comme « je promets », « je déclare »).
  • Dans ce texte, certains énoncés ont une fonction performative implicite. Par exemple :
    • « Ce qui s’est produit […] est un acte de guerre » : En qualifiant l’attaque d’« acte de guerre », le locuteur effectue un acte de labellisation ; il définit publiquement l’événement comme une agression nationale, ce qui contribue à redéfinir la situation.
    • « La France saura défendre ses valeurs » : En affirmant cela, le locuteur fait une promesse et un engagement implicite pour la nation. Cet énoncé sert de déclaration d’intention en même temps qu’il mobilise un sentiment de sécurité et de confiance.
  • Le discours performe donc une déclaration de résilience nationale et une délégation d’autorité pour répondre à la crise, visant à transformer le contexte en un espace de cohésion nationale.

Conclusion

Ce discours agit à plusieurs niveaux en intégrant les actes de langage d’Austin :

  1. Acte locutoire : Énonce la gravité de la situation par des termes spécifiques.
  2. Acte illocutoire : Cherche à rassurer, à mobiliser les citoyens et à préparer l’opinion à des actions futures.
  3. Acte perlocutoire : Vise à renforcer la solidarité et le patriotisme et à faire accepter les mesures gouvernementales.
  4. Aspect performatif : Par l’énoncé de phrases de soutien et de résilience, il effectue un acte de mobilisation collective et de légitimation de l’action étatique.

Ainsi, le discours ne se limite pas à informer : il agit activement pour rassembler et mobiliser en utilisant un langage chargé de valeurs nationales et de promesses de défense, créant un effet à la fois politique et émotionnel.

PLAN POSSIBLE

  • Introduction (contexte)
  • Transcription (une partie du discours)
  • Analyse des éléments du discours
    • Thèmes du discours
    • Registres lexicaux et figures de styles
    • Fonctions/actes du langage
  • Conclusion